Le manteau à 5000 euros et autres récits hors de prix
Où je confesse ma dernière dépense en date, m'interroge sur le prix de la mode et donne la parole à des gens de bon goût.
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Vous vous souvenez quand j’ai affirmé que je ne porterai plus jamais de jupes ? J’ai menti.
Avant toute chose, sachez que je n’avais pas prévu de mentir. Je n’avais pas non plus prévu de découvrir, dans une boutique du Marais à la sélection ô combien merveilleuse, la jupe. Noire, longue, fendue sur les côtés jusqu’au genou, brodée de fleurs en perles et corde. Une jupe que pourrait totalement porter la meilleure version de moi-même – intellectuelle et toujours bien habillée, mais qui ne s’en vanterait jamais. J’ai tout de suite vu comment la porter : en suivant la formule dite « Miuccia Prada » qui consiste à mettre un simple pull sur une jupe un peu fantaisie, et d’y associer des sandales et un petit sac (voire une pochette en tissu).
J’ai donc acheté cette jupe. Pour une somme absolument exorbitante (plusieurs centaines d’euros) mais tant pis, je n’ai qu’une vie.
Vaste sujet d’ailleurs que le coût des vêtements. J’ai eu envie d’y consacrer une newsletter après ma visite chez Bode, rue de Valois (courrez-y, ne serait-ce que pour la déco délicieusement foutraque saupoudrée de références à la pêche à la mouche et les cabines d’essayage qui invitent au selfie miroir). Où je suis tombée nez-à-nez avec un spectaculaire manteau… à 5000 euros. Une pièce « à plis smockés et boucles en cordons de soie appliqués », inspirée « d’un manteau d’opéra des années 1920, un style de manteau formel ample et non ajusté, courant au début du XXe siècle », nous apprend le site de la marque.
En bonne journaliste de terrain, je l’ai essayé, tout en me demandant ce qui pouvait expliquer qu’un manteau en polyester, certes Made in Portugal, soit aussi cher – outre le contexte socio-économique, la hausse du coût des matières premières, de la main-d’œuvre, des frais généraux, et autres réjouissances. Spoiler, je ne vous ferai pas de meilleure réponse que celle de Luca Solca, analyste pour le cabinet Bernstein. Qui, en 2023, rappelait au New York Times que « 5 % des clients les plus fortunés représentent aujourd'hui plus de 40 % des ventes de la plupart des marques de produits de luxe ». Et qu’ils sont donc tout à fait capables de s’offrir un manteau à 5000 euros (que j’ai, moi, reposé sur son portant après essayage).
J’ai aussi repensé aux propos de Thomas Huriez, fondateur de la marque de jeans française 1083, interviewé en 2022 dans le cadre d’un article pour ELLE sur le juste prix de la mode : « Le prix d’un produit n’est relatif ni à la qualité, ni au pouvoir d’achat, mais à l’identité et l’image que l’on cherche à acquérir en tant qu’être humain qui veut se sentir bien. Il y a également un troisième axe, celui de la croyance que l’on donne à chaque marque. Le sujet du pouvoir d’achat lié à la mode est très contemporain, on s’habille avant tout pour des raisons émotionnelles et identitaires. On fait des choix par rapport à nos moyens, évidemment, mais aussi par rapport à l’argent que l’on veut y consacrer. Le prix qu’un vêtement vaut est aussi celui que l’on veut y mettre. »
Pour revenir à ma jupe, j’ai tout de même ressenti une vague culpabilité au moment de passer à la caisse. Notamment parce que je passe mon temps à me dire que je n’ai pas besoin de vêtements supplémentaires, et que je devrais dépenser le fruit de mon labeur dans des choses plus utiles (un appartement pour mes vieux jours, une brosse à dents électrique, un nouveau set de poêles). Heureusement qu’il y a le philosophe Nicolas Grimaldi et son Abécédaire philosophique (PUF, 2014) : « Aussi dispendieuse [que la mode] soit, ce qui fait sa valeur d'usage n'est pas son utilité, mais tout à l'inverse sa frivole indifférence à toute forme d'utilité. La mode est une exhibition du superflu : à la fois un sacrifice à ce qu'il y a de plus éphémère et une consécration de l'oisiveté. » Oisive mais bien habillée, c’est mon nouveau mantra.
Par pure curiosité – et aussi un peu pour me déculpabiliser –, j’ai demandé à trois amis au goût très sûr de me raconter leur(s) achat(s) le(s) plus dispendieux. Résultat : beaucoup d’euros dépensés mais zéro regret.
Pierre d’Almeida, ex-journaliste et puits de culture, est mon interlocuteur favori dès lors qu’il s’agit de commenter le mercato de l’industrie de la mode, le dernier tapis rouge en date ou un TikTok très niche.
« En 2019, j’étais prêt à dépenser un peu d’argent dans un sac pour fêter mes 25 ans et le hasard a voulu que je sois invité à une vente privée Loewe. J’en ai profité pour acheter un Puzzle Bag camel en taille médium pour 500 euros (au lieu de 2200, en tout cas à l’époque) et mon seul regret à ce jour reste de n’en avoir acheté qu’un. Il commence tout juste à s’abîmer, probablement parce que je le porte à longueur d’année, mais je serais bien incapable de m’en séparer tant il est beau et pratique.
Plus récemment, j’ai dépensé 600 euros dans une paire de bottines en cuir noir Husbands. Dans les faits, c’est la plus grosse somme que j’ai jamais mise dans des souliers, mais ça fait aussi dix ans que je porte ce genre de modèle, donc le risque de regret est vraiment minime (j’ai aussi tendance à gérer ma wishlist avec une rigueur de notaire, et à n’acheter que les articles qui réussissent à y rester plus de six mois, ce qui évite les erreurs).
Je suis aussi plutôt à l’aise avec le fait de dépenser beaucoup dans des bijoux. Pas de joaillerie, mais a minima de l’argent 925, sauf gros coup de cœur. J’ai une bague que j’adore de la marque Ambush, de la créatrice Yoon Ahn (300 euros de mémoire), et il y a quelques mois, j’ai perdu un earcuff Panconesi (180 euros) parce que je me donnais trop sur le dancefloor. Je suis allé le racheter dès que c’était possible tellement je l’aime. »
Zoé Michel est l’une des personnes les plus brillantes que je connaisse – en plus d’être une Philophile avertie ! Ses références sont toujours pointues et élégantes, et je suivrais n’importe quelle de ses recommandations les yeux fermés.
« L’objet qui m’a coûté relativement le plus cher, et qui est très cher à mon cœur, est une lampe d’Isamu Noguchi, le modèle 14A. C’est une sorte de lampadaire sur pied assez haut, qui ressemble à un petit personnage : on dirait une femme avec des hanches, c’est très beau et surtout ça fait une lumière très tamisée, très japonisante évidemment. Je l’ai d’ailleurs choisie pour ça ; la lumière est un sujet très compliqué chez moi. C’est-à-dire que je vis dans le noir, et j’allume vraiment au dernier moment pour pouvoir me déplacer sans me cogner. Je déteste les choses criardes, qui agressent les yeux, hors la lampe Noguchi apaise tout de suite un lieu. Elle rend l’espace chaleureux, sublime les autres objets… Elle a une sorte de posture.
Ça fait des années que je la voulais, cinq-sept ans je pense, après avoir vu une exposition au musée Noguchi à New York. Il y avait cette pièce sublime, remplie de lampes, qui m’avait bouleversée. Je m’étais dit que le jour où j’arriverais à m’en offrir une, ce serait la consécration. Quand j’ai emménagé dans mon nouvel appartement, en octobre dernier, c’est la première chose que j’ai achetée. Je l’ai payée 1400 euros en soldes, donc c’est vraiment un budget mais je ne la regrette pas du tout – et puis il faut savoir que je suis Sagittaire ascendant Taureau donc en termes d’achat je suis un peu “yolo”, je ne réfléchis pas du tout. Je trouve que c’est un objet poétique, beau, et ça me fait du bien de le voir. D’ailleurs, c’est pratiquement toujours ce que j’allume en premier en arrivant chez moi. »
Matthieu Morge Zucconi est chef de rubrique mode homme au Figaro, connaît tout le monde et possède une indécente – mais très belle – collection de vestes. Un chic type en somme.
« Il n’aura échappé à personne ayant déjà lu ma production journalistique que j’ai une affection particulière pour le travail de Jonathan Anderson. Il y a environ un an j’ai commencé à être obsédé (il n’y a pas d’autres mots) par les chaussures “Campo” de Loewe, exagérément arrondies. Je suis aussi un adepte du “classic with a twist” (même si je déteste cette expression), et logiquement, ce petit truc en plus parle pas mal à mon cœur. Dans un grand moment de ce que mes amis appelleront le “Morgisme”, j’ai commencé à scruter quasi quotidiennement le site de Loewe pour comparer les différents modèles et, petit à petit, l’idée de l’achat fou a commencé à faire son bout de chemin dans ma tête. Après hésitation entre mocassin et boots, entre poilues et noires, j’ai jeté mon dévolu sur la Chelsea arrondie noire vernie, en me disant que c’était proche de ce que je porte tous les jours. Je les ai achetées sur Internet (!!!), avec une livraison en boutique, pour 1100 euros.
Je fais très peu de “gros” achats, ce qui est une source d’agacement permanent avec mon meilleur ami car on se dit souvent que si on s’était écoutés, on aurait peut-être déjà cinq costumes Husbands au lieu de 200 bricoles de Vinted sans aucun intérêt. Je suis typiquement ce genre de personnes qui souffre de la BARRIÈRE PSYCHOLOGIQUE. Le seul truc dans lequel je dépense vraiment de l’argent, finalement, ce sont les chaussures car je pense que tu ne peux pas vraiment être cheap avec tes pieds. »
Des liens qui parlent un peu de mode, et beaucoup d’argent.
What’s the Difference Between a Pair of $30 Jeans and $300 Jeans? Excellente question à l’heure où l’on a totalement normalisé l’idée de mettre au moins 150 euros dans un jean mais où l’on est révoltés quand il faut débourser 2,50 euros pour un ticket de métro. Vous y apprendrez que cela dépend entre autres du métier à tisser, du processus de fabrication et d’autres facteurs qu’on oublie souvent quand il s’agit d’acheter un vêtement.
Que peut-on s’acheter quand on a déjà tout ? Le Wall Street Journal s’est penché sur le cas de ces milliardaires qui se mettent à investir dans le rodéo, au grand dam de certains cowboys. Si, comme moi, vous avez binge-watché toutes les saisons de Yellowstone (si ce n’est pas le cas, il faut qu’on parle), vous savez qu’on tient là tous les ingrédients d’un excellent spin-off.
Une Américaine de passage dans son Goodwill local (une chaîne de magasins de seconde main très populaire aux États-Unis) a fait l’affaire du siècle en dénichant une robe de mariée Vera Wang à 19 dollars. Une aubaine, d’autant plus quand elle s’est rendue compte qu’il s’agissait du modèle porté par Carrie Bradshaw (Sarah Jessica Parker) dans le film Sex and The City.
Peut-on reconnaître une personne fortunée aux vêtements qu’elle porte ? Si la logomania a brouillé les frontières, il reste encore quelques pièces de mode qui permettent au 1% de sortir du lot. Parmi elles, la « rich guy jacket ». Signée Zegna, Massimo Alba, Advani ou Loro Piana, elle est reconnaissable à son col montant, est souvent taillée dans le meilleur cachemire au monde et affiche un prix à trois zéros.
Symbole du climat rétrograde qui s’installe un peu partout dans le monde comme de la chute inéxorable du body-positivisme, le rebranding de la marque d’ultra-fast fashion Pretty Little Things me fascine autant qu’il m’épouvante. Après plus d’une décennie de mini-robes tapageuses, le label anglais mise désormais sur le triumvirat « old money »/« clean girl »/« quiet luxury » et ne propose plus que des tailleurs mal coupés déclinés dans un camaïeu de beige, censés invoquer l’esprit de la girlboss accro aux Espresso Martini. Ajoutez à tout cela un nouveau logo, un compte Instagram repimpé, des prix en hausse et une soirée de lancement pendant la Fashion Week parisienne (au cours de laquelle se sont croisés Naomi Campbell, des anges Victoria’s Secret et l’actuel directeur artistique de Burberry), et vous tenez le cas marketing le plus intéressant de ce début d’année.
Je n'ai qu'une envie désormais : voir à quoi ressemble cette jupe incroyable ?!