Je vois des indicateurs de récession partout
Récession, restriction, privation, et autres gros mots en -ion.
Si vous avez :
Récemment remplacé votre psy par la version gratuite de ChatGPT, envisagé d’installer chez vous un potager en hydroponie afin de devenir auto-suffisant(e), regardé des tutoriels TikTok pour apprendre à faire votre propre cappuccino ou recommencé à apporter votre tupperware au bureau… Félicitations, vous êtes en pleine récession.
Respirez, vous n’êtes pas seul(e). En Europe comme outre-Atlantique, la tendance est à la restriction, à l’heure où de nombreux économistes penchent pour une récession probable et prochaine. La conséquence notamment de la guerre sur les droits de douane menée par Donald Trump, qui menace la croissance mondiale selon les derniers rapports du Fonds monétaire international – ce dernier estime par ailleurs à 40% les chances d’une récession américaine cette année.
Le saviez-vous ? Outre de très sérieux indicateurs de crise, deux méthodes – à la fiabilité discutée – sont régulièrement évoquées dès lors qu’il s’agit de prendre le pouls du contexte économique ambiant.
Le lipstick index
Popularisé dans le courant des années 2000 par Leonard Lauder, président du conseil d’administration d’Estée Lauder, « l’indice rouge à lèvres » est censé établir une corrélation négative entre les ventes de bâtons de rouge et le contexte économique. Plus ce dernier est difficile, plus le marché de la cosmétique se porte bien, les consommatrices se tournant vers des produits de luxe plus accessibles, à l’instar du fameux rouge à lèvres. Aussi discuté que discutable (la récession de 2008 avait vu chuter l’économie mondiale comme les ventes du secteur de la beauté, mettant à mal la théorie de Leonard Lauder), le lipstick index fait tout de même parler de lui à chaque nouvelle crise.
L’ « indice ourlet »
La longueur de la jupe peut-elle prédire le cours de la Bourse ?, s’interrogeait récemment Le Point. Professeur à l’université de Pennsylvanie, George Taylor a été l’un des premiers, dans les années 1920 à faire le lien entre prospérité économique et… raccourcissement des jupes des femmes. C’est le fameux hemline index, retravaillé par deux économistes néerlandais en 2010. En compilant notamment près de 90 ans de donnés, Marjoleine van Baardwijk et Philip Hans Franses ont établi que la baisse (ou la hausse) des ourlets suit les fluctuations économiques plus qu’elle ne les précède. À titre d’information, sachez que la jupe se rallonge la saison prochaine, après avoir été mini cet été…
Faut-il pour autant s’alarmer ? Mes connaissances économiques s’arrêtant aux trois saisons d’Industry (si vous aimez l’argent et la cocaïne les séries à haute palpitation cardiaque et faire semblant de comprendre le charabia de la finance, Industry est pour vous), j’ai eu envie de poser quelques questions à Esther Moisy-Kirschbaum, auteure de la newsletter Oblique Forecasting. Dans sa dernière édition, elle explique d’ailleurs comment la crise actuelle diffère de celle de 2008. Esther m’a entre autres introduite au phénomène de vibecession, « qui intervient en jeu quand l'opinion publique se montre plus pessimiste sur la santé financière des marchés que la réalité » :
« On est passé du commentaire sur la longueur des jupes et les ventes de gloss à la dissection de l'influencer gifting à Coachella et au retour de la vraie musique pop. Sur TikTok, tout et n'importe quoi devient un potentiel #recessionindicator. Les millennials, qui ont surmonté leur première récession en 2008, s'empressent d'établir des parallèles avec cette période.
En voulant s'improviser analyste financier, ils confondent souvent un simple cycle de tendances sur 20 ans avec de véritables signes avant-coureurs de crise. Rappelons que si ces micro-signes peuvent révéler des vérités sur l'économie, les macro-tendances comme les crash boursiers ou l'augmentation rapide des prix de l'immobilier permettent une lecture plus objective.
Cette tendance à voir le verre à moitié vide (qui peut encore se permettre un cocktail à 20€ ?) porte un nom : la vibecession. C'est cette propension à se comporter comme si la récession était déjà établie avant sa confirmation officielle. L'intention a l'air louable : éviter l'insouciance et possiblement tout perdre comme en 2008. On peut aussi faire une lecture plus cynique : cette anxiété économique n'est-elle pas simplement le refuge d'une génération qui justifie son impossibilité d'accéder à un mode de vie promis ? »
Vrais signes de crise ou théories fumeuses ? De la célébration de l’esprit corporate aux racines apparentes, de Coachella au flashmob, une liste très subjective d’indicateurs de récession qui m’obsèdent.
Mode
La renaissance des pièces iconiques des années 2010
L’imprimé tête de mort Alexander McQueen, le sac Paddington de Chloé… Si vous avez un tant soit peu suivi les dernières actualités de l’industrie de la mode, vous avez forcément remarqué le retour en force de pièces emblématiques des années 2010. Simple nostalgie ou vrais symboles de récession ? C’est un peu au cas par cas mais sachez tout de même que le top péplum, que l’on a beaucoup vu sur les derniers podiums, a souvent tendance à réapparaître en temps de crise (cf le fameux tailleur Bar de Christian Dior, à la taille très étroite et au bas évasé, dévoilé en 1947, « année terrible »).
La glorification de la working girl
Quoi de plus indicateur d’une récession que le retour au bureau, d’autant plus quand il est volontaire ? Célébrés par une nouvelle génération qui a débuté sa carrière en télétravail et fantasme une vie corporate qu’elle n’a pas connue, l’open space et ses attributs sont à la mode. Ainsi de la working girl, ses blazers à épaules XXL, ses pantalons souples à pince et ses escarpins pointus.
Fonctionne aussi avec : La hausse des inscriptions en école de droit.
La seconde vie des directeurs artistiques
Que devient un directeur artistique après avoir été remercié/fermé sa propre marque ? Option 1 : il intègre une nouvelle maison. Option 2 : il se tourne vers les géants de la mode de masse. Après Clare Waight Keller chez Uniqlo, Zac Posen chez Gap, Adam Selman chez Victoria’s Secret, c’est au tour de Jonathan Saunders de rejoindre les rangs de & Other Stories en tant que chief creative officer. La raison ? Un « salaire fabuleux, souvent de l’ordre de sept chiffres », explique Puck News, et une sécurité de l’emploi dans une industrie chahutée.
Fonctionne aussi avec : La supermodel Helena Christensen nommée directrice artistique de l’éditeur de meubles danois BoConcept.
Le boom du talon haut
« La ballerine, c’est fini. » Cette sentence irrévocable, c’est Maud Pupato, directrice des achats luxe au Printemps, qui me l’a glissée lors d’une récente conversation téléphonique. « Dès l’hiver prochain, c’est l’hégémonie du talon haut. Celles qui voudront être à plat se tourneront vers le mocassin. » Et si le très brumeux high heel index, qui prétend que les femmes prennent de la hauteur pour mieux faire face à l’incertitude économique, avait raison ?
Bonus :
Beauté
Le recession blonde
Un beau blond, ça s’entretient, vous dira n’importe quel coiffeur. Sauf en période de crise, où faire retoucher ses racines régulièrement tient plus du gouffre économique qu’autre chose. Conséquence directe de la baisse du pouvoir d’achat, le recession blonde est désormais très en vogue sur TikTok, où se refilent trucs et astuces pour assumer sa repousse capillaire au grand jour.
Fonctionne aussi avec : La hausse des faux ongles repositionnables, le carton des produits de beauté multifonctions.La fin de la perfection buccale (voulue ou non)
Si vous avez regardé la dernière saison en date de The White Lotus, vous êtes peut-être tombé sous le charme de Chelsea, cette anglaise un peu fofolle, fan d’astrologie, dotée d’une dentition imparfaite pour les uns, adorable pour les autres. Son interprète, Aimee Lou Wood, l’assume et ne s’en cache pas, s’opposant dans un sens à la mode délirante des facettes dentaires qui produisent un sourire uniformisé légèrement terrifiant. De quoi inspirer à Tatler une ode à la dentition anglaise, souvent moquée, jamais égalée.Fonctionne aussi avec : Ce sondage de l’Ifop qui établit que 9 % des Français interrogés se brossent les dents sans dentifrice, faute de moyens.
Le rétrécissement des fausses poitrines
Faudra-t-il bientôt ajouter la fluctuation du volume mammaire à la liste des indicateurs de récession officiels ? Les chirurgiens esthétiques sont unanimes sur le sujet : la mode est aux yoga boobs, également appelés ballerina breasts. À New York, les médecins de l’Upper East Side reçoivent ainsi chaque mois des dizaines de clientes souhaitant une poitrine plus naturelle, qui s’obtient de plus en plus par le biais de procédures non-invasives. Moins coûteuses, elles sont en train de devenir l’alternative idéale à la pose d’implants.
Food
La disparition des menus à rallonge
C’est la crise partout, même chez les étoilés Michelin. Finis, donc, les menus en neuf plats et plus et les repas qui s’éternisent. « Certains restaurants ont même démantelé leurs menus de dégustation et permettent aux clients de commander à la carte », relève le Wall Street Journal. Rien d’étonnant : le coût des matières premières – et donc de la nourriture – augmente, les clients cherchent à dépenser moins et surtout, n’ont plus vraiment la tête à passer trois heures au restaurant.
Plus personne ne regarde la carte des desserts
Pour être tout à fait honnête, cette théorie part d’un tweet, qui énonçait sans aucune preuve qu’il n’y a pas plus symbolique d’une récession que le manque d’intérêt des clients pour la carte de desserts. Je n’ai jamais retrouvé le tweet en question, mais j’ai quand même eu envie de demander à mon amie Constance Dovergne, aux avant-postes de la scène food et de tout ce qui gravite autour, ce qu’elle en pensait.
« J’ai l’impression qu’il n’y a plus vraiment d’excitation sur les desserts, même les plus viraux comme le mille-crêpes au matcha ou plus récemment le cheesecake basque, qui étaient un argument de vente. On ne prend notamment plus de dessert parce que les prix ont augmenté de façon assez impressionnante. En particulier pour les matières premières qui viennent de loin – le cacao, la vanille –, mais aussi le blé. Elles ont été soumises à des fluctuations et le sont encore : il y a des logiques de marché qui font que ces prix sont multipliés par dix en quelques mois, avant de redescendre soudainement. C’est de ce fait très difficile à suivre, déjà pour les professionnels type pâtissiers ou chocolatiers, mais encore plus pour les restaurateurs dont c’est une toute petite partie du commerce qu’il faut réussir à suivre et à tenir.Pour autant, je ne sais pas si on peut dire que l’absence de desserts est un signe de récession. Car en parallèle de ça, le mouvement le plus spectaculaire auquel on assiste depuis quelques années, ce sont tous ces restaurants qui proposent à la carte un plat avec un supplément caviar. Alors, certes on est en récession, mais de ce que je constate, et de ce que je lis, plus les gens se sentent précaires financièrement, plus ils ont tendance à s’acheter des micro-luxes. »
Trois minutes après notre conversation, je suis tombée sur ça :
Culture
Le paiement en plusieurs fois pour assister à Coachella
Vaste sujet chez les mélomanes, les prix des billets de concert n’en finissent plus de s’envoler. Comptez ainsi plusieurs centaines d’euros pour espérer apercevoir le haut du crâne de Beyoncé, Lady Gaga ou Taylor Swift dans un stade près de chez vous. Ajoutez à cela le concept de tarification dynamique – soit une stratégie consistant à ajuster les prix en fonction de la demande : plus cette dernière est haute, plus les tarifs grimpent – et vous obtenez une bulle inflationniste de toute beauté. Aux États-Unis, les participants du festival Coachella, qui se tient tous les ans en avril dans la vallée éponyme, ont trouvé la solution : opter pour un système de paiement échelonné, sans intérêt.La recession pop
Apparu pour la première fois lors de la crise économique mondiale de 2008, le terme de recession pop englobe tous ces tubes dansants, exagérément heureux, sur lesquels on a tous et toutes un jour sautillé en criant « C’est ma chanson !!! » En vrac, « Just Dance » de Lady Gaga, « Teenage Dream » de Katy Perry ou « Tik Tok » de Kesha. Les singles d’aujourd’hui sont signés Charli XCX, Sabrina Carpenter et Chappell Roan et sont eux aussi calibrés de façon à nous donner l’envie irrépressible de se jeter sur le dancefloor le plus proche pour oublier tous nos problèmes.
L’ultime saison de The Handmaid’s Tale
S’il y a un objet culturel qui me donne l’impression d’être dans une boucle temporelle, c’est bien The Handmaid’s Tale. Débutée en 2017 (!), cette série dystopique inspirée, du moins pour la première saison, du roman éponyme de Margaret Atwood, revient pour un ultime volet. On a beau avoir exploré sous tous les angles la façon dont la série symbolise les dérives de l’Amérique contemporaine – et plus largement les politiques de plus en plus en plus restrictives mises en place un peu partout à travers le monde –, impossible de nier que son retour colle parfaitement au climat actuel.Le retour des flashmobs
Au rayon des choses que l’on ferait mieux de laisser à la décennie précédente, le mannequin challenge (qui fait insidieusement son retour, vous l’aurez lu ici en premier), le dab… et le flashmob. Née au début des années 2000, cette manifestation éclair, souvent dansée, a connu son heure de gloire en 2009 avec les Black Eyed Peas performant leur tube « Boom Boom Pow » en ouverture du Oprah Winfrey Show. Au même moment où la récession – qui sera par ailleurs qualifiée d’« exceptionnelle » et d’« atypique » par les experts de l’Insee quelques années plus tard – battait son plein. Maintenant, devinez ce qui est en train de revenir outre-Atlantique…
Mais aussi : le Mocha Mousse couleur de l’année 2025 (beurk), les futurs mariés qui réduisent leur budget, la broke chic era, la colocation qui séduit de plus en plus les jeunes actifs, les hommes qui ne rachètent plus de sous-vêtements… Bref, il y a des indicateurs de récession en tout lieu pour ceux qui veulent bien les voir.
N’hésitez pas à partager les vôtres !
Oui merci